jeudi 20 septembre 2012

L’Equarrissage, Lorette Nobécourt (Mille et une nuits, 2001)



 
Souvenir de lecture déjà ancien mais intact. Comme miraculeusement préservé par la force de l’œuvre qui constitua une sorte de déclic vis-à-vis de la littérature contemporaine, face à la sidération que, oui, ce soit possible d’écrire (comme) ça, aujourd’hui, en langue française. Qu’un homme ou une femme (dans ce cas) en soit capable. Et qu’elle ait le courage (ou la folie) de le donner à lire à autrui.

Œuvre d’un engagement total de l’être dans son écriture, de l’écriture dans la vie. Œuvre sans précédent, sans ressemblance avec grand-chose d’autre. Comme le dit parfaitement Jean-Luc Douin : " Il faut la lire, tout simplement, parce qu'elle honore la littérature française."

mardi 18 septembre 2012

Nous étions jeunes et insouciants, Laurent Fignon (Grasset, 2009)




Ce livre touche un point précis de juillet 1984 où, sous le soleil exactement et du haut de mon enfance, je vis en chair et en os - plutôt qu’en vrai car comment y croire - ma première idole. Le cycliste était grand, l’homme aussi nous apprend ce livre. Et franc, entier, quitte à déplaire.

Il se trouve que les livres furent sa seule passion en dehors du vélo et que pour moi, ce sont justement les deux faces d’une même pièce. Son approche du second correspond d’ailleurs à mon rapport aux premiers : «  J’ai toujours été rétif aux mouvements de foules. Mais j’ai toujours trouvé étrange qu’il existe des hommes rétifs au charme des ferveurs populaires. » Il en va en effet ainsi de mes goûts littéraires et donc de ce qui fait qu’un ouvrage figure ou non dans ce blog.

Je n’ai jamais cru à la « grande littérature » (pas plus qu’à la « grande musique » ou au grand Art…) et n’ai jamais souscrit à la figure du « grantécrivain » : j’aime les livres qu’on ne voit pas venir et qui font mal mais permettent d’accéder enfin à soi, définition même du cyclisme selon Laurent Fignon : « Les hommes, à vélo, ressemblent toujours à ce qu’ils sont : on ne triche jamais bien longtemps. Le vélo est ce par quoi l’homme se trouve et se prouve. Il dévoile des travers, des richesses, divulgue des appétits immenses. Rien à voir avec la gloire : parlons plutôt de plénitude. Le vélo donne à toucher le fond de nos âmes. »

Un homme qui a vécu – et arrêté – le cyclisme en poète : à la fois jeune et épuisé. Comprenne qui lira.

dimanche 9 septembre 2012

Lourdes, lentes…, André Hardellet (Pauvert, 1974)


Relisant ce livre m’apparaît soudain l’étonnante logique cachée qui nous fait aimer non pas un livre plutôt qu’un autre mais un livre en ce qu’il parle à un autre ou plusieurs, et par ce qu’ils ont en commun (et peu importe la chronologie, ici règnent l’anachronisme et la vérité des entrailles). Les textes qui nous marquent semblent en effet se répondre et s’unir dans l’écho général  de nos obsessions. Et dans le cas de ce livre inclassable d’André Hardellet, ni poème en prose ni conte érotique en même temps que les deux, me saute aux yeux, à l’esprit et surtout au cœur une triple parenté qui concerne deux livres déjà traités dans ce blog.

La relation la plus évidente est l’échange sombre et profond qui unit Lourdes, lentes… à La Nuit, le jour et toutes les autres nuits (1978) de Michel Audiard. On y retrouve en effet un même triangle d’or composé de l’attraction de l’amour physique, de l’omniprésence de la mort au sein de la vie et du caractère cru et entier de la langue écrite. Au point que l’on se demande si le secret de la beauté pourtant unique de ces deux textes ne provient pas de ce qu’ils font de ces trois éléments un seul et même point central : inattaquable car trois fois plus fort, plus résistant.

A l’inverse de ce lien évident et continu, un paragraphe étrange - comme inattendu dans le texte, peut-être le seul dans ce cas d’ailleurs - nous fait immanquablement penser à Le Zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc d’Eugen Herrigel. Le voici, on l’en croirait même tout droit sorti : « Je suis l’archer Zen dont la flèche se détache à l’instant précis où lui-même, l’arc, le trait, le vent, l’aile de l’oiseau qui passe, la lumière du jour et jusqu’au rayon d’une étoile morte depuis des siècles, tombent d’accord pour que le but soit atteint. »

Enfin, la seconde partie de Lourdes, lentes… tourne autour de Londres quand elle ne s’y déroule pas. Et quand on la rapproche de l’éloge du rêve et de la rêverie qui traverse le texte depuis ses premières lignes, on ne peut s’empêcher de penser au fameux voyage imaginaire que fait Des Esseintes, le héros d’A Rebours de Huysmans, dans un pub anglais de Paris.

Notre voyage à nous s’arrête ici mais l’on se prend heureusement à penser que c’est le seul livre d’Hardellet que nous ayons lu à ce jour. A la manière dont Jules Renard écrivait dans son Journal : « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. » A suivre donc…