mardi 25 décembre 2012

Todo tiene grietas, Íñigo García Ureta (Trama, 2002)





Todo tiene grietas, sous-titré « Le chansonnier de Max B. », est le vrai-faux journal intime d’un double de l’auteur où une chanson constitue le titre de chaque « chapitre » (les jours n’étant pas datés mais simplement numérotés), loin de tout effet de décoration (et donc du simple name-dropping) ou de simple support à commentaires de textes. La musique constitue en effet le moteur et le centre du labyrinthe que forme la pensée éveillée de Max B., dévoilant à chaque page un peu plus de sa difficulté d’être dans un monde qu’il ne fréquente pas vraiment (passant ses journées dans sa chambre) ou seulement via Internet qu’il utilise comme un miroir et un fonds commun où il peut renforcer ses goûts et vérifier ses hypothèses.

Domine la figure de Leonard Cohen, le titre même du livre étant la traduction d’une phrase de la chanson « Anthem » (dans l’album The Future). Mieux qu’une bande sonore, la musique comme l’art en général (le cinéma et la littérature en particulier) font partie du quotidien de Max B. mais surtout de son être intérieur : il est ainsi parcouru de citations, de personnages et de scènes, comme de ses propres souvenirs, gestes ou rencontres. Ecouter de la musique, voir un film, lire un roman ou des poèmes sont pour lui autant de manières de rentrer en soi et/ou d’en sortir car ce journal est aussi celui d’une œuvre et d’un auteur in progress. Un livre en forme d’hommage aux autres qui est aussi un examen de conscience lucide, c’est-à-dire cruel envers soi-même où l’ironie et la sensibilité se révèlent aussi omniprésentes que précieuses.

------------

N.B. : Ce livre reste inédit en français. A bon traducteur, salut… 

jeudi 8 novembre 2012

J'habitais Roanne, Christian Chavassieux (Thoba's éditions, 2012)


Parce que je suis convaincu, malgré les apparences - une fois de plus -, qu'il ne faut pas être originaire de Roanne ou connaître la ville pour être touché par la beauté de ce livre, splendide récit aussi érudit que sensible d'un auteur en quête de soi à travers ce et ceux qui l'entourent.

vendredi 19 octobre 2012

Suicide, Edouard Levé (P.O.L., 2008)


Froid dans le dos. 

C’est immanquablement l’expression qui me vient à l’esprit chaque fois que je pense à ce livre et plus particulièrement à sa dernière partie, sublime suite de courts tercets dont la simplicité n’a d’égale que la noirceur : toutes deux absolues dans leur manière de converger vers le gouffre à venir.

Leur auteur ne pouvait aller plus loin tant sa logique d’écriture y rejoint celle de sa vie dans une cohérence nécessairement implacable. Après cela, il ne reste plus [rien de possible] que le suicide.  

Dont acte.

jeudi 18 octobre 2012

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Stig Dagerman (1981, Actes Sud)




Dix pages seulement mais peut-être les plus définitives qu’il m’ait été donné de lire. Et qui, inlassablement, me renvoient à cette question : comment un désespoir aussi absolu est-il convertible en une beauté aussi éclatante ? L'écriture semble agir comme une pierre philosophale entre les vases communicants de l'être et du papier.

jeudi 20 septembre 2012

L’Equarrissage, Lorette Nobécourt (Mille et une nuits, 2001)



 
Souvenir de lecture déjà ancien mais intact. Comme miraculeusement préservé par la force de l’œuvre qui constitua une sorte de déclic vis-à-vis de la littérature contemporaine, face à la sidération que, oui, ce soit possible d’écrire (comme) ça, aujourd’hui, en langue française. Qu’un homme ou une femme (dans ce cas) en soit capable. Et qu’elle ait le courage (ou la folie) de le donner à lire à autrui.

Œuvre d’un engagement total de l’être dans son écriture, de l’écriture dans la vie. Œuvre sans précédent, sans ressemblance avec grand-chose d’autre. Comme le dit parfaitement Jean-Luc Douin : " Il faut la lire, tout simplement, parce qu'elle honore la littérature française."

mardi 18 septembre 2012

Nous étions jeunes et insouciants, Laurent Fignon (Grasset, 2009)




Ce livre touche un point précis de juillet 1984 où, sous le soleil exactement et du haut de mon enfance, je vis en chair et en os - plutôt qu’en vrai car comment y croire - ma première idole. Le cycliste était grand, l’homme aussi nous apprend ce livre. Et franc, entier, quitte à déplaire.

Il se trouve que les livres furent sa seule passion en dehors du vélo et que pour moi, ce sont justement les deux faces d’une même pièce. Son approche du second correspond d’ailleurs à mon rapport aux premiers : «  J’ai toujours été rétif aux mouvements de foules. Mais j’ai toujours trouvé étrange qu’il existe des hommes rétifs au charme des ferveurs populaires. » Il en va en effet ainsi de mes goûts littéraires et donc de ce qui fait qu’un ouvrage figure ou non dans ce blog.

Je n’ai jamais cru à la « grande littérature » (pas plus qu’à la « grande musique » ou au grand Art…) et n’ai jamais souscrit à la figure du « grantécrivain » : j’aime les livres qu’on ne voit pas venir et qui font mal mais permettent d’accéder enfin à soi, définition même du cyclisme selon Laurent Fignon : « Les hommes, à vélo, ressemblent toujours à ce qu’ils sont : on ne triche jamais bien longtemps. Le vélo est ce par quoi l’homme se trouve et se prouve. Il dévoile des travers, des richesses, divulgue des appétits immenses. Rien à voir avec la gloire : parlons plutôt de plénitude. Le vélo donne à toucher le fond de nos âmes. »

Un homme qui a vécu – et arrêté – le cyclisme en poète : à la fois jeune et épuisé. Comprenne qui lira.

dimanche 9 septembre 2012

Lourdes, lentes…, André Hardellet (Pauvert, 1974)


Relisant ce livre m’apparaît soudain l’étonnante logique cachée qui nous fait aimer non pas un livre plutôt qu’un autre mais un livre en ce qu’il parle à un autre ou plusieurs, et par ce qu’ils ont en commun (et peu importe la chronologie, ici règnent l’anachronisme et la vérité des entrailles). Les textes qui nous marquent semblent en effet se répondre et s’unir dans l’écho général  de nos obsessions. Et dans le cas de ce livre inclassable d’André Hardellet, ni poème en prose ni conte érotique en même temps que les deux, me saute aux yeux, à l’esprit et surtout au cœur une triple parenté qui concerne deux livres déjà traités dans ce blog.

La relation la plus évidente est l’échange sombre et profond qui unit Lourdes, lentes… à La Nuit, le jour et toutes les autres nuits (1978) de Michel Audiard. On y retrouve en effet un même triangle d’or composé de l’attraction de l’amour physique, de l’omniprésence de la mort au sein de la vie et du caractère cru et entier de la langue écrite. Au point que l’on se demande si le secret de la beauté pourtant unique de ces deux textes ne provient pas de ce qu’ils font de ces trois éléments un seul et même point central : inattaquable car trois fois plus fort, plus résistant.

A l’inverse de ce lien évident et continu, un paragraphe étrange - comme inattendu dans le texte, peut-être le seul dans ce cas d’ailleurs - nous fait immanquablement penser à Le Zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc d’Eugen Herrigel. Le voici, on l’en croirait même tout droit sorti : « Je suis l’archer Zen dont la flèche se détache à l’instant précis où lui-même, l’arc, le trait, le vent, l’aile de l’oiseau qui passe, la lumière du jour et jusqu’au rayon d’une étoile morte depuis des siècles, tombent d’accord pour que le but soit atteint. »

Enfin, la seconde partie de Lourdes, lentes… tourne autour de Londres quand elle ne s’y déroule pas. Et quand on la rapproche de l’éloge du rêve et de la rêverie qui traverse le texte depuis ses premières lignes, on ne peut s’empêcher de penser au fameux voyage imaginaire que fait Des Esseintes, le héros d’A Rebours de Huysmans, dans un pub anglais de Paris.

Notre voyage à nous s’arrête ici mais l’on se prend heureusement à penser que c’est le seul livre d’Hardellet que nous ayons lu à ce jour. A la manière dont Jules Renard écrivait dans son Journal : « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. » A suivre donc…

lundi 20 août 2012

Alcyon, Pierre Herbart (Gallimard, 1945)


Une fois encore (le hasard, décidément, n’existerait-il pas en matière de goût littéraire ?), le format de la longue nouvelle ou du court roman a produit tout son effet sur moi comme s’il s’agissait pour mes yeux de lecteur d’une durée parfaite, une sorte de distance reine à la manière du 400 mètres en athlétisme, course qui est encore du sprint et déjà de l’endurance : un tour de piste qui nécessite tous les talents puisque la plus longue distance pendant laquelle un humain peut courir à pleine vitesse du début à la fin sans réfléchir ni s’économiser, c’est-à-dire se confronter à l’inhumain. Et c’est, d’une certaine manière, comme s’il en allait de même avec l’écrivain qui s’attaque à ce tour de force littéraire du texte hors normes classiques.  

A ce genre en soi qui ne peut être réduit en français à un seul mot, Joseph Conrad – plus qu’aucun autre - a su donner ses lettres de noblesse et ce, dans une langue anglaise qui lui décerne le titre de novella. La figure tutélaire de Joseph Conrad plane d’ailleurs au-dessus de cet ouvrage comme elle irrigue son contenu, aussi bien au niveau des techniques narratives (ruptures chronologiques, changements de narrateurs…) que de l’atmosphère générale (personnages principaux exclusivement masculins, omniprésence de la mer, dérive humaine sur les rives de la folie…).

On ne trouve en effet ici que des personnages (re)couverts de mystères et se vouant à un échec qu’ils semblent appeler de leurs vœux sans que l’on sache pourquoi. C’est en fait comme s’ils avaient un vide au cœur et, à ce titre, la noyade rôde dans ces pages comme une métaphore constante au point d’imprégner le récit d’un sentiment d’aspiration vers le fond, de cercle vicieux au sens propre car rendu concret par l’image de l’eau qui, comme un tourbillon, une spirale, éloigne de la surface pour rejoindre le néant.

Histoire sans la moindre femme ou presque, et c’est peut-être là une des clés de l’impasse dans laquelle tous ces hommes ne cessent de vouloir aller. Jusqu’au bout. Que ce soit par la solitude, la guerre ou la folie. Lesquelles ne sont d’ailleurs peut-être que trois formes différentes d’une seule et même chose : la tentation de la mort, l’irrésistible appel du néant au sein de chaque existence. Ainsi, à chaque ligne de ce grand texte bref, le crépuscule de la vie pointe comme l’ultime horizon à atteindre.