jeudi 29 décembre 2011

Le Combat silencieux, André Salvet (Le Portulan, 1945)


Voilà le troisième billet que ce blog consacre à un roman (oublié) sur la Résistance écrit par l’un de ses protagonistes dont l’anonymat littéraire n’a d’égal que la renommée dans sa véritable profession. Il s’agit d'ailleurs dans les trois cas du seul roman publié par l’auteur quoique, pour André Salvet (1918-2006) contrairement à Jacques Panijel et Pierre Chany, la remarque ne soit pas tout à fait vraie et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, publié dès mai 1945 chez un éditeur dont il inaugure le catalogue, Le Combat silencieux ne cache pas la véracité des faits qu’il relate malgré l’incohérente (mais vendeuse ?) mention « roman » présente sur la couverture et la page de titre. Un avertissement de l’auteur précise en effet dès l’ouverture : « Ce livre raconte une partie de certaines aventures survenues à l’un de mes amis, qui a tenu à garder l’anonymat ».

Ensuite, André Salvet a publié en 1970 un autre roman, Lolitissimo, sous un autre nom (René Varrin) et dans un autre genre – érotique - dont il était en fait un spécialiste reconnu, publiant de nombreux ouvrages sur le sujet (notamment sous l’angle de l’histoire littéraire) sans que ce soit sa véritable profession. Il fut en effet un personnage incontournable de la chanson française des années 50 à 70, auteur d’innombrables paroles de chansons à (gros) succès... Parmi les plus connues, on ne peut résister au plaisir de citer : Itsy bitsy petit bikini (pour Richard Anthony), Brigitte Bardot (pour Dario Moreno), L’école est finie (pour Sheila), Twist à Saint-Tropez (pour Les Chats Sauvages), ou encore Le temps de l’amour (pour Françoise Hardy) !

Enfin, un deuxième roman - titré Les inquiets - du même André Salvet était annoncé en préparation dans la rubrique « Du même auteur » de cette première et unique édition du Combat silencieux. Il n’a jamais été publié ; quant à savoir ce qu’est devenu le manuscrit, voilà peut-être une affaire à suivre… Il devait également publier un Essai sur la poésie dont on perd ensuite toute trace (même s’il publiera à la fin de sa vie deux recueils de poèmes), une poésie qui rythme d’ailleurs Le Combat silencieux à travers la mémoire du personnage principal, Pierrot, un résistant qui concevait son action comme une aventure poétique et ne put se résoudre, une fois la guerre finie, a basculé dans la politique.

Certes, le livre n’est pas la perle rare tant espérée que laissait envisager la lettre d’Albert Camus placée en introduction, réponse à un courrier de l’auteur lui demandant une préface. L'écrivain alors déjà célèbre y explique avec politesse à André Salvet pourquoi il n'en écrira une que si ce dernier y tient vraiment parce, selon lui, un bon texte se suffit à lui-même et que c’est le cas du sien. (Ce n’est pas nous, partisan des postfaces, qui allons le contredire...) 

Pour le reste, si Le Combat silencieux demeure un ouvrage de facture somme toute assez classique dans la construction et dans le style, on ne partage pas moins l’avis d’Henri Queffelec lorsqu’il le chroniqua à sa sortie dans le numéro de décembre 1945 de la revue Esprit : « Quelques aventures de la Résistance présentées au demi-ralenti. L’opérateur indique, souligne les détails intéressants. Mais pas de chiqué. On croit y être, et, malgré les évidentes faiblesses du découpage et de la lumière, on suit avec passion ».

mardi 20 décembre 2011

Rouge décanté, Jeroen Brouwers (Gallimard, 1981)


J'ai lu ce livre il y a déjà plus de cinq ans et n'en ai pas lu d'autres depuis dans le même genre : insoutenable. Je ne peux plus, tout simplement, mais ne cesse pas moins de penser à lui et à son titre qui me font immédiatement venir à l'esprit un mot - l'horreur - tant, comme dans le texte de Conrad, on se trouve ici "au cœur des ténèbres"... 

Et puis, dans un second temps, j'entends cette phrase qui en est extraite et résume à elle seule - comme peu d'autres - l'entièreté du réel en même temps que de la condition humaine : « Nulle chose n’existe qui n’en touche une autre, mais que dois-je faire ? » Tout est dit... Pour le reste, le résumé de l'intrigue, le nom des personnages, etc., il y a des sites pour ça !

mardi 13 décembre 2011

Le Zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc, Eugen Herrigel (Dervy, 1994)



Une telle lecture donne envie de s'effacer devant le texte pour en citer un passage qui pourrait d'ailleurs servir de méthode concernant notre rapport au livre (et à ces chroniques) :

"- L'art véritable, s'écria le Maître, est sans but, sans intention. Plus obstinément vous persévérerez à vouloir apprendre à lâcher la flèche en vue d'atteindre sûrement un objectif, , moins vous y réussirez, plus le but s'éloignera de vous. Ce qui pour vous est un obstacle, c'est votre volupté trop tendue vers une fin." (pp.55-56)

On remerciera juste le merveilleux Henri Cartier-Bresson de nous l'avoir fait connaître...



 

Eugen Herrigel en pleine (non-)action (Photographe inconnu)

samedi 10 décembre 2011

Tzvetan Todorov, Une vie dans le feu (Robert Laffont, 2005)


Pourquoi se priver dans ce blog d’un billet sur une préface ? Le sous-titre de « Surbouquin » n'est-il d’ailleurs pas là pour dire que tous les types de textes se valent par principe car seul compte leur qualité et non leur nature, c’est-à-dire ce qu’ils font au lecteur plutôt que ce qu’ils sont, en un mot : leur action plutôt que leur naissance…

Je parlerai donc de la préface à Marina Tsvetaeva, Vivre dans le feu (Confessions), tant son intelligence et sa beauté m’ont marqué. Il faut dire que Tzvetan Todorov n’a pas lésiné sur les efforts pour lui donner le jour, endossant le double rôle de préfacier et d’éditeur puisqu’il est également l’auteur de la sélection des textes intimes (lettres et carnets) qui composent ce recueil autobiographique : un travail de titan face à dix tomes d’écrits mais aussi un travail tout en finesse, autrement dit en sensibilité, en précision, en pédagogie et en discrétion.

A cette occasion, Tzvetan Todorov minore un peu l’injustice faite par l’édition française à Marina Tsvetaeva durant son exil parisien (1924-1939), quinze années de publication quasi égale au silence malgré dans une capitale peut-être bien trop occupée à acclamer ses gloires nationales et quelques stars de l’étranger triées sur le volet (germanopratin) pour s’intéresser à cette femme sans entrée dans les réseaux et vivant en banlieue...

De Marina Tsvetaeva, que dire ? Rien qui ne soit déjà énoncé dans la préface à la fois complète (60 pages) et synthétique. Et du livre ? Que (presque) tout est déjà dans cette préface qui met superbement en lumière les plus beaux passages des quelques 600 pages couvrant plus de trente ans de vie et d'écriture pour en restituer tout le sens.


P.-S. : Un autre français, Dominique A, lui a rendu un magnifique hommage dans une chanson qui porte son nom et où paroles, musiques et voix se marient sublimement, notamment dans le refrain (« Tout ce qui porte un nom brûle… », toujours ce feu...) qui ne cesse de résonner au-delà du morceau comme le passage sur terre de cette femme-poète hors du commun.